Votre épargne souffre du même biais que l’économie tout entière. Ce biais réduit le rendement de votre épargne autant qu’il freine l’investissement et donc aussi la croissance et l’emploi. De quoi s’agit-il ? Du court-termisme. Chacun d’entre nous souffre d’impatience, on privilégie l’ici et le temps présent, en considérant même qu’il en va du bon sens. Ne dit-on pas « un tien vaut mieux que deux tu l’auras » ? Alors on consent à placer son argent, mais à court terme, en espérant un gain, mais à court terme. On veut à la fois placer son argent, mais continuer d’en disposer, engranger un intérêt, mais sans laisser au temps le temps de le composer. En situation d’incertitude, comme celle que l’on vit actuellement dans la dissipation encore très lente des effets de la crise financière enclenchée en 2007-2008, ce biais est renforcé par un besoin de sécurité. Chacun recherche ce qui est liquide et sûr quand l’économie a, au contraire, besoin de temps pour se refaire, de capitaux prêts à rester immobilisés longtemps pour entreprendre des projets d’investissements de long terme et dont la rentabilité n’est jamais certaine.
Les marchés d’actions pâtissent depuis longtemps de ce biais d’impatience, de ce court-termisme. A les prendre pour des casinos où l’on pourrait par quelques coups fameux gagner beaucoup d’argent en un rien de temps, on les déstabilise, on en fait des réservoirs à bulles qui, lorsqu’elles éclatent après avoir beaucoup gonflé, finissent par donner raison à ceux qui s’en détournent. C’est cette courte vue qui transforme les Bourses en montagnes russes. Le rétablissement d’une perspective de long terme serait favorable à une plus grande stabilité des marchés.
La Bourse n’est pas affaire de boursicoteurs et de temps court, du moins ne devrait-elle pas l’être, car elle s’en accommode très mal. C’est dans une perspective de long terme que la détention d’action rapporte, sur le long terme qu’elle contribue au financement des entreprises et donc à l’investissement et la croissance. Lorsque la Bourse n’est plus qu’un marché d’occasion, sur lequel des traders hyperactifs achètent et revendent en quelques millisecondes des milliards d’actions qui ont été émises depuis longtemps déjà, elle ne remplit plus son rôle. Ni du point de vue des entreprises, qui en ont besoin pour accroître leurs capitaux propres, ressources indispensables pour réaliser un investissement productif en restant capable d’assumer les pertes qui peuvent aller avec – ce que précisément la dette ne permet pas. Ni du point de vue de l’épargnant qui, dans une perspective de long terme, pourrait tirer profit d’un rendement bien supérieur.
Le court-termisme est un leurre si l’on croit pouvoir y associer un rendement substantiel. Le rendement a besoin de temps. Et il implique toujours une prise de risque car en finance il n’y a pas de repas gratuits ! Généralement, le risque fait peur, quand l’important serait plutôt qu’il soit jaugé, prévenu et assumé. La peur du risque est un bien mauvais guide, jamais là quand il faut : absente quand tout va bien et que l’on gagnerait à calmer le jeu, excessive quand ça va mal et que l’on accroît le problème en restant tétanisé. Or, le risque est un moteur indispensable. L’important est de savoir où on le prend. Dans le domaine financier, mieux vaut qu’il soit pris là où il finance l’investissement des entreprises, car c’est de là que viennent la croissance et l’emploi. Mieux vaut aussi le prendre à la mesure de ce que l’on peut supporter de perdre, sans transférer à d’autres les pertes éventuelles. L’important pour vous est donc dans tous les cas d’identifier le niveau de risque que vous souhaitez prendre et que vous êtes prêt à assumer et aussi d’identifier la destination de votre argent.
En abandonnant la courte vue et en mettant le cap sur le long terme, vous ferez fructifier votre épargne, tout en contribuant au financement de long terme de l’économie, indispensable à la croissance, et en calmant l’instabilité des marchés. De quoi ainsi participer à une finance plus stable et au service de la société.
Au-delà, cette courte vue est aussi celle qui mine la décision publique, plus soucieuse de ses résultats de court terme que de ses répercussions à long terme, fussent-elles très négatives. Que l’on pense à la politique monétaire trop accommodante d’avant crise aux Etats-Unis notamment, qui a laissé le crédit s’emballer au mépris de l’instabilité de long terme qui pouvait s’ensuivre et qui n’a pas manqué de se concrétiser avec la crise. Qu’il s’agisse aujourd’hui des programmes d’achats d’actifs, comme celui décidé par la BCE en janvier 2015, dans l’impatience de ses observateurs qu’il produise vite des effets sur la croissance, au mépris là encore de ce qui pourra s’ensuivre au niveau de la stabilité financière à plus long terme ou des taux de change. Ou bien encore que l’on évoque la gestion de la crise grecque qui a fait prédominer les positions de principes et les « succès » diplomatiques de court terme au mépris de la pérennité à plus long terme de la construction européenne. La courte vue est assassine.
Dans le long terme, on sera tous morts … nous peut-être mais pas nos enfants, ni nos petits-enfants ! Cap loin devant, vive le long terme, finissons-en avec la courte vue !