On a tous tendance à accorder plus d’importance au présent qu’à l’avenir. On préfère recevoir 100 € aujourd’hui que dans un an. On préfère un voyage en avion maintenant même si ça veut dire une Terre inhabitable dans trente ans.
Un biais psychologique
Dans certains cas et dans une certaine mesure, c’est parfaitement rationnel. À cause de l’inflation, dans un an il me faudra un peu plus que 100 €, mettons 101 €, pour acheter ce qui aujourd’hui coûte 100 € : je peux donc très logiquement dire que je veux 100 € aujourd’hui ou bien 101 € dans un an, mais pas 100 € dans un an. D’autre part, si j’ai 100 € maintenant je peux les placer et avoir disons 102 € dans un an : donc avoir 100 € aujourd’hui vaut plus que 100 € dans un an.
De plus, si j’ai 100 € aujourd’hui, je peux choisir entre les dépenser tout de suite ou bien dans un an ; alors que si on me donne 100 € dans un an, je ne peux pas les dépenser immédiatement. Mais ça c’est psychologique ; ça n’est pas quelque chose qu’on peut quantifier de manière précise : combien vous faudrait-il recevoir dans un an pour accepter d’attendre ? 105 €, 120 €, 200 € ? La réponse va fortement varier d’une personne à l’autre. La cigale de La Fontaine exigerait une montagne d’or pour attendre, alors que la fourmi se contenterait d’un gain supérieur au livret A.
Est-ce un problème ? Oui parce que ça peut vouloir dire ne pas épargner assez. Ne penser qu’au moment présent signifie implicitement que vous amuser un peu plus aujourd’hui est plus important que d’avoir à manger jusqu’à la fin de votre vie (mais vous changerez peut-être d’avis si ça arrive).
Une incompétence financière
Un autre problème est que les investisseurs ne comprennent pas bien les intérêts composés. Une étude (1) a montré que plus d’un quart des épargnants (américains) croit que les gains sont linéaires. Et si on ajoute ceux qui sont au courant que les gains sont composés mais qui sous-estiment le phénomène, on a environ 70 % de la population.
Si vous placez 10 000 € à 5 %, vous gagnerez bien 500 € la première année. Mais ça ne veut pas dire que vous vous gagnerez 10 000 € (20 fois 5 % de 10 000 €) en vingt ans. Grâce aux intérêts composés, vous toucherez des intérêts sur la somme placée mais aussi sur les intérêts des années précédentes — vous gagnerez donc plus que ça (16 500 €). 30 % des épargnants pensent qu’ils auront 10 000 €, et 40 % donnent un chiffre supérieur à 10 000 € mais inférieur à 16 500 €.
La règle des 72 % est une astuce très utile pour vite calculer les rendements composés. En divisant 72 % par le rendement annuel, vous obtenez le nombre d’années pour doubler votre capital. Par exemple, à 5 % il faut environ 72 % / 5 % ≈ 14,4 ans — contre seulement 72 % / 7,5 % ≈ 9,6 ans à 7,5 %. Notez que c’est multiplicatif et non additif — en 29 ans à 7,5 % on ne multiplie pas par trois, quatre ou six : on double trois fois, donc on multiplie par huit (2 × 2 × 2 = 8).
Les épargnants qui ne comprennent pas comment marche la composition croient aussi que s’ils placent leur argent à 5 % pendant trente ans au lieu de vingt ans ils gagneront 50 % de plus, alors qu’en fait ils gagneront le double (33 200 € au lieu de 16 500 €). Ils pensent de même que s’ils plaçaient leur argent à 7,5 % pendant vingt ans au lieu de 5 %, ils gagneraient 50 % de plus, alors que là aussi ils gagneraient le double.
Est-ce un problème ? Oui parce que si vous sous-estimez la puissance des rendements composés vous allez aussi sous-estimer l’importance de placer votre argent pendant longtemps et d’obtenir un rendement élevé. C’est-à-dire que vous commencerez très tard et vous vous contenterez de rendements médiocres (par exemple sur des livrets). Or la composition des gains est cruciale pour les placements de long terme : grâce à elle, vous pouvez faire nettement mieux que juste grappiller un petit peu de pouvoir d’achat.