On parle beaucoup de la Chine ces derniers temps :
son ralentissement économique, sa crise immobilière, son modèle économique en transition, etc. Mais je crains que l’on ne passe à côté de l’essentiel. Ce qui est en jeu, c’est mon destin. J’ai 67 ans et je vais bientôt disparaître.
J’habite en Chine depuis ma naissance en 1949. Mes origines remontent pourtant en Allemagne un siècle plus tôt. Ma famille a émigré partout dans le monde, d’abord en Russie, puis en Europe, en Asie, en Amérique du Sud, et en Afrique. J’ai été conçu en ville, mais finalement, j’ai grandi à la campagne. J’ai prospéré dans ces zones rurales où la modernité d’un siècle extraordinaire bouleversait les traditions et l’ordre social. On avait envie de croire à des lendemains qui chantent, et il était tentant, pour une nouvelle génération, de prendre le pouvoir quitte à se diluer dans un collectif anonyme, tant il était puissant et irrésistible.
A vrai dire pour arriver à mes nobles fins de faire émerger l’Homme Nouveau, j’ai plus souvent utilisé la force que la persuasion. La dialectique grecque dans un pays rural et confucéen n’était pas très adaptée et je n’avais pas non plus 2000 ans devant moi. Il y a eu des débordements et j’ai même été accusé d’avoir fait disparaître des millions de personnes. Oui, peut-être, mais c’était ma période adolescente un peu turbulente, j’y croyais très fort, un peu trop fort sûrement. Et d’ailleurs d’autres aussi, ont longtemps cru en moi, même à Paris -il paraît- du côté de Saint Germain des Prés... Depuis, j’ai mûri, le révolutionnaire a laissé place à un adulte structuré, à tendance administrative voire bureaucratique. Mais depuis 1990, j’ai été submergé par une 3e tendance qui aura ma peau, menée par une nouvelle génération : celle des opportunistes, des ambitieux et des carriéristes. Ils sont prêts à toutes les concessions pour leur réussite personnelle. Avec eux aux commandes, je n’ai plus longtemps à vivre. Dans ma famille, celle des Partis Communistes dirigeants, personne n’a jamais dépassé les 72 ans, c’est une fatalité. Dans les pays plus riches, beaucoup ont disparu plus tôt, et les plus persistants ont tous connu cette déliquescence en fin de vie. En fait, il est difficile de dépasser l’espérance de vie humaine, soit trois générations dirigeantes, pour un parti unique non-monarchique quel qu’il soit. Moi, Parti communiste chinois au pouvoir depuis 67 ans, dans 10 ans, je ne serai plus. Et la Chine sera démocratique.
La Chine faisait déjà figure d’exception en matière de régime autoritaire, car il est anormal que la pluralité politique et la démocratie n’aient pas émergé avec la moitié de la population de plus 36 ans. En effet, à l’exception des nations vivants des ressources naturelles, toutes les nations de plus de 35 ans d'âge médian ont accédé à un régime plus ou moins démocratique. Ce n’est plus qu’une affaire de quelques années, mais visiblement à Hong Kong, on est plus impatient. Décidément, ce sont toujours les citadins qui veulent notre perte.
Ma seule consolation avant de disparaître, sera peut-être d’avoir le temps de voir d’autres régimes autoritaires non-communistes disparaître. Sachant que la manne financière des ressources naturelles a toujours été un frein à l’émancipation politique, avec un baril de pétrole désormais à moins de 50USD, quelques transitions politiques sont à espérer prochainement. J’y aurai un peu contribué, indirectement, car le ralentissement économique chinois est pour quelque chose dans l’effondrement des prix des matières premières et ceux du pétrole. Oui, je m’en réjouis, car je dois bien avouer avoir toujours été un peu en compétition avec nos voisins Russes… Voir les autres pages de la Longue Vue