Imaginez un instant qu’au lieu de rembourser les intérêts de votre crédit auto ou de votre crédit immobilier, la banque vous paie lorsque vous empruntez ou, ce qui revient au même, vous permette de rembourser moins que la somme empruntée … Impossible ? C’est pourtant le cas aujourd’hui pour certains emprunteurs. Pas vous certes, du moins pas encore, mais dans plusieurs pays, notamment le Danemark, la Suède, la Suisse, la France, l’Allemagne, ainsi que le Japon depuis peu, les Etats ou les banques, parfois les deux, empruntent à taux négatifs depuis un, deux ou trois ans.
Les banques centrales à la manœuvre
En 2015, pour des échéances inférieures à 4 ans, en France, en Allemagne, en Suisse, en Suède, au Danemark, et même en Italie pendant quelques mois, l’Etat a emprunté à taux négatif. Depuis juillet 2012, les banques danoises aussi se refinancent à taux négatif auprès de leur Banque centrale. Les banques suisses et les banques suédoises également : le taux directeur de la Banque Nationale Suisse (BNS) est négatif depuis janvier 2015, celui de la Banque de Suède (Sveriges Riksbank) depuis février 2015 et n’a cessé de baisser depuis. La situation est légèrement différente pour les banques de la zone euro : elles se refinancent auprès de la BCE à un taux quasi nul de 0,05% depuis septembre 2014 mais pas encore négatif. En revanche, le taux qui « rémunère » leurs réserves à la banque centrale (la banque des banques), au-delà de celles qui sont obligatoires, est négatif depuis juin 2014 et a été abaissé par deux fois depuis : -0,30% depuis décembre 2015. Même chose depuis le 29 janvier dernier pour les banques japonaises. Leur banque centrale (la BoJ) a fixé à -0,1 % le taux de dépôt au jour le jour qui s’applique aux réserves qu’elles détiennent auprès d’elle. La plupart des commentateurs y voient une « taxe » prélevée sur les réserves des banques pour inciter ces dernières à faire circuler leurs liquidités et in fine stimuler l’octroi de crédit. Cela fait débat car ce sont moins ces réserves de monnaie centrale que la demande de crédit qui déterminent le crédit que les banques octroient, et ce faisant la monnaie qui circule dans l’économie. Cependant, cette baisse du taux appliqué aux dépôts des banques auprès de leur banque centrale a un autre effet : elle entraîne celle des taux des prêts et emprunts entre banques sur le marché dit interbancaire et, ce faisant, favorise la baisse de l’euro sur le marché des changes (moins rémunérés, les placements en euros sont moins demandés par les investisseurs étrangers). En fait, c’est peut-être davantage cet objectif là qui est visé tant par la BCE que par la BoJ car, bien qu’il n’entre pas a priori dans les missions ni de l’une ni de l’autre, le taux de change est le canal qui fonctionne le moins mal aujourd’hui pour transmettre les impulsions de la politique monétaire à l’économie réelle dans un contexte de quasi déflation (inflation nulle voire négative).
Des investisseurs déboussolés ?
Cela étant dit, les investisseurs n’ont-ils pas un peu perdu la tête en acceptant de prêter à taux négatif ? La réponse est non dans le contexte d’incertitude qui est le leur depuis la crise financière de 2007-2008 dont les économies ne se sont pas encore pleinement rétablies (c’est peu de le dire pour certaines d’entre elles, notamment dans la zone euro). Dans un tel contexte, ce ne sont plus les gains qu’on cherche à maximiser mais les pertes qu’il faut minimiser. C’est alors la sécurité qui est privilégiée : entre un titre sûr qui rapporte moins et un titre moins sûr qui rapporte plus, le premier aura la préférence de l’investisseur s’il ressent fortement l’incertitude. Et même pour ceux que l’incertitude n’affecte guère, acheter un titre souverain dont le taux apparent (taux nominal) est négatif n’est pas irrationnel du tout ni sans perspective de gain, si la banque centrale du pays émetteur pratique, dans le cadre de son quantitative easing, des achats de titres souverains qui font monter le prix de ces derniers. L’investisseur a dans ce cas la perspective de pouvoir revendre son titre avant l’échéance à un prix supérieur à celui auquel il l’a acheté. Ni philanthropes, ni misanthropes les investisseurs au pays des taux négatifs !
Arme ou impasse ?
Et les banques centrales, quant à elles, ont-elles véritablement la maîtrise de ces taux négatifs ? Est-ce pour elles une manière d’accommoder encore plus la politique monétaire et de signaler aux marchés que rien, pas même un plancher zéro, ne limitera leur action ? Peut-être faut-il y voir effectivement une marge de manœuvre supplémentaire que l’on aurait eu du mal à conceptualiser il y a encore quelques années (allez trouver des traces de taux nominaux négatifs dans les manuels d’économie monétaire et financière, vous n’en trouverez guère que dans les éditions mises à jour). Le fait est néanmoins que les banques centrales qui ont « dégainé » le taux négatif sont aussi celles confrontées aux tensions déflationnistes les plus sensibles. Et il est loin d’être sûr que le taux négatif sera une arme suffisante pour gagner la bataille face à ce spectre déflationniste à travers lequel certains voient se profiler, sous l’expression de « stagnation séculaire », une incapacité plus structurelle de nos économies à produire de la croissance et de l’emploi.
Plutôt qu’abaisser encore le prix de l’argent, redonner goût à l’investissement productif
L’important dans un tel contexte n’est peut-être pas de continuer à baisser le prix de l’argent mais plutôt de redonner goût à l’investissement productif, le goût d’investir son argent dans des investissements qui apportent une croissance saine et soutenable, qui profitent à la société dans son ensemble : des investissements dans la transition écologique, les nanotechnologies, le numérique, l’éducation, etc. En son temps, l’économiste Knut Wicksell (1851-1926) distinguait entre le taux auquel les banques prêtent (qu’il appelait le taux monétaire) et le taux auquel les entrepreneurs acceptent d’emprunter qui n’est autre que le taux de rendement qu’ils anticipent pour leur investissement productif (taux naturel). Lorsque l’écart se creuse entre les deux, l’économie va mal, en prise à des tensions inflationnistes quand le taux monétaire est trop en dessous du taux naturel (parce qu’alors il y a alors surinvestissement), à des tensions déflationnistes dans le cas contraire (parce qu’il n’y a plus assez d’investissement). Dans un contexte déflationniste de sous-investissement, ce n’est pas le taux monétaire qu’il faut baisser pour corriger l’écart mais le taux naturel qui doit remonter. Il faudrait pour cela des découvertes, de l’innovation, de l’action publique pour amorcer le mouvement, des relais privés pour le pérenniser. Nul doute que les investisseurs y trouveraient davantage leur compte comme la société tout entière. C’est d’un véritable « déplacement » dont nos économies ont besoin, pas de ces mini-innovations en tablettes et autres smart phones, mais de ces innovations qui nous font voir l’avenir autrement, qui rendent l’horizon plus large et plus clair. Un nouveau cycle des affaires pourrait alors s’amorcer qui ne se laisserait plus dévorer par le cycle financier. Ce n’est pas gagné !
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