Monsieur Marché
Imaginez qu’un certain monsieur Marché vienne frapper à votre porte tous les matins en vous annonçant combien il est prêt à acheter votre maison, vos actions, votre voiture, etc. D’un jour sur l’autre les prix offerts changent sans raison apparente. Et ils atteignent parfois des sommets ou des gouffres sans lien avec la réalité.
Vous vous dites que ce type a dû s’échapper d’un asile, et pourtant monsieur Marché existe : les cotations boursières vous indiquent en continu à quel prix vous pourriez vendre votre portefeuille boursier (ou acheter plus de titres). Le prix change beaucoup plus souvent que la valeur intrinsèque : il y a des modes, il y a des bulles spéculatives, il y a des krachs terrifiants.
Si monsieur Marché vous annonçait que le prix de votre voiture a baissé de moitié en six mois, vous répondriez qu’elle roule aussi bien qu’avant et que cette chute n’a aucun sens, et vous ne la vendriez pas au rabais. Si au contraire monsieur Marché vous disait que son prix a doublé en trois mois, vous trouveriez ça ridicule (et vous la vendriez peut-être avant que monsieur Marché ne retrouve la raison).
« Monsieur Marché » est une allégorie inventée par Benjamin Graham il y a près de 70 ans pour indiquer que le prix des titres financiers (notamment des actions) n’est pas la même chose que leur valeur. Les prix varient en permanence, parfois violemment ; la valeur évolue peu, et lentement.
On ne vous promet rien
Notez d’un autre côté que le prix qu’annonce monsieur Marché est le prix auquel il est vraiment prêt à acheter ou à vendre. Vous n’avez qu’à dire oui pour que la transaction ait lieu. Le prix de l’action d’une certaine société sur le marché boursier est le prix auquel vous pouvez concrètement acheter ou vendre cette action.
Ça n’est pas vrai de tous les prix publiés : avec les voitures d’occasion (argus) ou les objets de collection, personne ne promet d’acheter ou de vendre à ce prix-là. Dans le cas du marché immobilier, les prix annoncés sont soit des estimations (un agent immobilier vous dit que votre logement vaut tant mais ne promet pas de l’acheter ni de trouver un acheteur) soit des moyennes (les chiffres des notaires par exemple).
Si vous entendez que l’immobilier a baissé de 20 % en un an, ça ne veut pas forcément dire qu’acheter un appartement vous coûtera 20 % moins cher qu’il y a un an. D’une part, c’est une moyenne et le chiffre peut être différent dans votre cas particulier. D’autre part parce que personne ne promet de vendre à ce prix. Les propriétaires refusent souvent de vendre quand les prix chutent : il y a un an on leur promettait plus et il est hors de question de vendre au prix actuel. Les prix annoncés peuvent être assez théoriques, si les vendeurs désertent le marché : c’est la liquidité (le nombre de vente) qui va baisser plus que les prix. « Officiellement » un certain logement vaut tant, mais en réalité il n’y a pas de vendeur à ce prix.
Valeur ou prix, information ou bruit
Graham aurait sans doute été surpris que des chaines de télévision ou de radio grand public diffusent régulièrement les cours du CAC 40. Savoir qu’il est en hausse de 0,47 % contre 0,44 % il y a cinq minutes ne fait aucune différence à long terme : si vous placez votre argent pour préparer votre retraite, quel est d’après-vous l’impact de cette variation de 0,03 % sur le capital que vous aurez dans des décennies ? Tout ceci n’est que du bruit, et n’a aucune importance pour les investisseurs qui ont des années ou des décennies devant eux. Seuls les spéculateurs qui parient sur de faibles variations à très court terme devraient s’y intéresser. Pour les investisseurs de long terme, l’échelle de temps pertinente est l’année ou la décennie, pas l’heure ni le jour.
Tout comme la mise à jour en continu des cours de la Bourse n’apporte pas d’information utile, il n'est pas nécessaire de vérifier la valeur de votre portefeuille tous les jours ou même toutes les semaines. L’évolution de la valeur, l’évolution de long terme des prix, c’est de l’information. Les minuscules soubresauts sur quelques heures ou quelques jours, ça n’est que du bruit.