L’épargne des Français souffre d’un paradoxe : une tolérance quasi illimitée au risque immobilier, mais une méfiance persistante vis-à-vis du risque financier.
Pour beaucoup de Français, l’épargne se résume à un principe simple : accumuler progressivement un capital sur les livrets réglementés, puis enchaîner sur le fonds en euros lorsque les livrets sont pleins… avec à terme, l’investissement dans la pierre comme aboutissement ultime.
Cette stratégie rassure, mais elle est loin d’être optimale. Elle pèse sur la préparation de la retraite, accroît la dépendance à l’endettement, et freine la capacité à faire croître son patrimoine de façon pérenne.
Et au niveau macro économique, elle pénalise l’économie nationale et l’emploi. Alors, comment sortir de cette spirale ?
Parlons d’un sujet souvent mal compris : le risque.
Nous verrons pourquoi aucun investissement digne d’intérêt n’existe sans lui. Nous verrons aussi pourquoi chercher à l’éviter est, en réalité, plus dangereux que de l’assumer. Et surtout, comment le mettre à profit pour servir vos projets de vie.
La croissance du patrimoine exige de prendre des risques
Le confort des livrets : une illusion trompeuse
En France, les épargnants ont grandi avec une particularité : les livrets réglementés comme le Livret A.
Ces produits sont sécurisés, accessibles à tous et garantis par l’État. C’est une bénédiction… mais aussi une malédiction.
Pourquoi ? Parce qu’ils ont façonné une vision faussée du risque. Beaucoup de Français ont pris l’habitude de croire que l’épargne pouvait rapporter « sans rien risquer », ce qui n’existe pas dans la réalité économique.
Le vrai moteur du rendement
Dans le monde réel (celui qui n’est pas administré par un gouvernement ou un organisme public), le rendement provient du service que votre argent rend à l'économie, pas d’une décision gouvernementale.
Quand vous placez votre argent en actions, obligations ou immobilier, vous permettez à une entreprise de financer ses machines, ses innovations, ou ses embauches. En contrepartie, vous espérez un retour sur investissement.
Ces investissements comportent toujours une part d’incertitude, mais ils sont aussi la source de création de richesse.
Autrement dit : sans prise de risque, pas de croissance patrimoniale.
Si les Français conçoivent bien cela, ils ont souvent des idées reçues sur la nature du risque.
Comprendre ce que « risque » veut dire
Beaucoup imaginent que « prendre un risque » signifie « tout perdre ou tout gagner », comme au casino. C’est faux.
Avec les placements financiers classiques, le risque se traduit surtout par de la volatilité : des variations temporaires de valeur, à la hausse comme à la baisse.
Exemple : une action peut perdre 10 % une année, puis regagner 15 % l’année suivante. Ce n’est pas une catastrophe, c’est une fluctuation normale. Avec du temps et une bonne diversification, ces variations s’aplanissent.
La clé n’est donc pas d’éviter le risque, mais de l’apprivoiser.
Mais tous les risques ne se valent pas
Il existe des « mauvais risques » : produits opaques, promesses de rendement extravagant, spéculation pure. Ceux-là sont à fuir.
À l’inverse, le risque des grandes classes d’actifs (actions, obligations, immobilier) est un risque productif. C’est lui qui finance l’économie réelle et qui permet, à long terme, de faire croître votre patrimoine. Dans ce cas, le risque devient un allié.
Le risque invisible : l’inflation
Éviter les marchés financiers n’élimine pas le risque : cela en crée un autre, plus sournois.C’est l’inflation : la perte progressive de pouvoir d’achat.
Un exemple concret : 100 € laissés sur un compte non rémunéré pendant 10 ans, avec 2 % d’inflation annuelle, ne valent plus que 82 € en pouvoir d’achat. Vous n’avez rien « perdu » en apparence… mais vous êtes appauvri.
Face à ce risque certain, accepter une dose d’incertitude via les marchés est en réalité plus prudent.
Le paradoxe de la retraite
Le cas de la retraite illustre bien ce raisonnement.
Il est moins risqué d’accepter des variations sur son capital au fil du temps, que de savoir avec certitude qu’en restant sur des placements sans rendement, le capital final sera insuffisant pour vivre correctement.
Autrement dit, le risque apparent des marchés protège en réalité contre un risque bien plus grave et sournois : celui de manquer d’argent demain.
Ainsi, la prise de risque n’est pas une menace à éviter, mais une dimension essentielle de l’investissement, à comprendre et maîtriser. On ne s’expose pas pour « jouer », mais pour protéger son pouvoir d’achat et espérer une progression de patrimoine.
La bonne nouvelle ? Ce risque se gère : le temps et la diversification sont vos deux meilleurs alliés.
Voyons maintenant comment apprivoiser le risque !
Différenciez votre tolérance au risque et votre capacité à prendre du risque
Prenons un moment pour définir deux notions : la tolérance au risque et la capacité à prendre des risques.
La tolérance au risque
C’est votre confort psychologique face aux variations de marché. Certaines personnes perdent le sommeil à -5 %, d’autres restent sereins à -20 %. Cette résistance s’acquiert avec l’expérience, la connaissance des produits et la confiance dans sa stratégie. Comme un muscle, elle se développe avec le temps.
La capacité à prendre du risque
C’est votre marge de manœuvre réelle. Elle dépend de vos revenus, de vos charges courantes, de vos projets et de votre horizon d’investissement. Un ménage avec enfants qui prépare un achat immobilier dans six mois n’a pas la même capacité qu’un jeune actif qui investit pour sa retraite dans 30 ans.
Il faut différencier tolérance et capacité
Voici deux exemples :
- Paul, 28 ans, épargne 500 € par mois pour un objectif retraite. Peu de charges, pas de dettes. Capacité forte. Mais dès que son portefeuille baisse de 5 %, il panique et veut tout vendre. Tolérance faible.
- Claire, 50 ans, prépare l’achat d’une nouvelle résidence principale dans 12 mois, avec un budget important. Elle gagne bien sa vie et supporte psychologiquement la volatilité. Tolérance élevée, mais capacité faible : elle ne peut pas se permettre que son capital chute à court terme.
Une décision d’investissement saine vient de l’alignement entre ces deux dimensions :
- Trop de capacité, mais peu de tolérance → vous vous privez de croissance par excès de prudence.
- Forte tolérance, mais faible capacité → vous prenez des risques inconsidérés.
La tolérance est personnelle et subjective. La capacité est contextuelle et objective. L’une se travaille, l’autre se calcule.
On pourrait faire le parallèle avec la vitesse en conduite automobile. Ce n’est pas parce que vous tolérez de rouler à 150 km/h qu’il est avisé de le faire partout, tout le temps.
Tous les risques ne se valent pas
Le risque est indispensable : sans lui, pas de rendement. Mais tous les risques ne se valent pas. Certains sont destructeurs, d’autres créateurs de valeur. La clé n’est pas d’éliminer le risque, mais de séparer les risques inutiles de ceux qui sont rémunérateurs.
Les risques à éviter
Certains risques ne rapportent rien :
- Envoyer son argent à un intermédiaire douteux : probabilité forte de perte, aucun gain potentiel.
- Investir sur une seule entreprise : vous pouvez gagner gros… ou tout perdre. À long terme, vous n’obtenez pas plus que la moyenne du marché, mais avec une volatilité décuplée (c’est un inconvénient des plans d’actionnariat salarié).
- Spéculer sur un actif qui n’a pas de rentabilité intrinsèque (crypto douteuse, NFT) : cela revient à espérer qu’un autre investisseur paiera plus cher, sans que l’actif ne produise quoi que ce soit.
Ces risques sont appelés des risques non rémunérés : ils augmentent l’incertitude sans améliorer la rentabilité espérée.
Les risques qui se gèrent
Le vrai risque productif, celui qui rémunère l’investisseur, c’est celui des marchés financiers dans leur ensemble.
Il se maîtrise grâce à trois leviers simples :
- Investir régulièrement : pour annuler le risque du « mauvais moment d’entrée ».
- Rester longtemps investi : pour lisser les crises et neutraliser la « mauvaise période ».
- Diversifier largement : pour réduire le risque de la « mauvaise entreprise ».
Ces règles réduisent considérablement l’incertitude. Il ne reste alors que le « risque rémunérateur », celui qui est la contrepartie normale de la croissance économique.
La preuve par l’histoire
Les données le montrent :
- Depuis 1871, le S&P 500 (500 plus grandes actions américaines) n’a jamais affiché de rendement négatif sur 20 ans glissants, dividendes réinvestis. (source : Shiller)
- Depuis 1970, le MSCI World (actions mondiales) n’a jamais été négatif sur 15 ans glissants en nominal. (source : MSCI)
Investir présente un risque de perte en capital. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures et ne sont pas constantes dans le temps.
👉 Exemple concret :Un investisseur qui aurait investi 10 000 € dans l’indice MSCI World (actions internationales) juste avant la crise de 2008 (au pire moment), aurait retrouvé, 15 ans plus tard, un capital supérieur à 20 000 € avec réinvestissement des dividendes. Patience et diversification transforment une entrée catastrophique en rendement positif. (source : MSCI)
Le but n’est pas de prédire le marché ou de courir après la prochaine mode. C’est de tenir le cap le plus longtemps possible, avec une épargne régulière et une allocation diversifiée. Dans ce contexte, la volatilité devient un détail et le temps fait tout le travail.
Adaptez votre stratégie de risque aux changements de vie
Chercher à piloter son exposition en fonction des cycles économiques est une illusion. Même les professionnels se trompent. En revanche, adapter sa prise de risque à ses propres cycles de vie est une démarche réaliste et payante.
Ce qui compte, ce sont vos besoins
Votre portefeuille doit évoluer avec vous.
- Célibataire, avec peu de charges et un horizon de placement long, vous pouvez supporter une forte part d’actions.
- À la naissance d’un enfant, vos priorités changent : vous avez besoin de sécurité et de liquidités, ce qui réduit naturellement votre capacité de risque.
- Plus tard, quand le patrimoine est constitué, il est logique de devenir plus conservateur pour préserver le capital accumulé.
Exemple concret : différence entre capacité et tolérance
- Julien, 27 ans, investit 80 % de son épargne en actions mondiales pour sa retraite : forte capacité + forte tolérance.
- Dix ans plus tard, marié, avec un crédit immobilier et un enfant, il réduit progressivement son exposition à 50 % d’actions, 40 % d’obligations et 10 % de liquidités : capacité plus limitée, tolérance plus fragile.
- Cette évolution n’est pas une régression, mais une adaptation saine à ses nouvelles contraintes.
Le vrai filet de sécurité : l’épargne de précaution
Rester investi le plus longtemps possible est la clé de la performance. Mais la vie n’est jamais linéaire : perte d’emploi, accident, imprévu familial peuvent forcer à désinvestir au pire moment.
C’est pour éviter ce scénario que l’épargne de précaution est indispensable. Trois à six mois de dépenses courantes placées sur un support liquide servent de tampon : ils absorbent les chocs du quotidien et vous permettent de laisser vos investissements long terme tranquilles.
Grâce à l’épargne de précaution, si vous devez récupérer à la hâte 10 000 € pour changer de voiture, vous n’aurez pas à solder vos investissements, et donc vous éviterez le risque de vendre au mauvais moment.
L’épargne de précaution et les livrets ne sont pas un placement rémunérateur, mais ils permettent d’investir dans des placements rémunérateurs.
Un patrimoine bien pensé n’est pas celui qui surperforme tous les ans, mais celui qui vous apporte le capital nécessaire, au bon moment, pour financer vos projets de vie : acheter votre logement, préparer la retraite, soutenir vos enfants, ou vous offrir plus de liberté dans votre carrière.
👉 En résumé : on n’adapte pas son portefeuille aux marchés, mais à sa propre vie. Et le meilleur garde-fou reste un matelas de sécurité qui protège votre horizon d’investissement.
Bien appréhender le risque, c’est l’aborder avec sérénité et pragmatisme
Investir n’a rien d’un jeu de hasard où l’on encaisse vite ses gains par peur de tout perdre.
C’est l’inverse : investir, c’est laisser son capital travailler le plus longtemps possible dans la croissance de l’économie mondiale.
En acceptant la volatilité, on encaisse ce que les économistes appellent la « prime de risque » : la récompense offerte à ceux qui savent rester investis malgré les montagnes russes.
Le vrai risque, c’est de rester immobile.
Alors, prêt(e) à mettre votre épargne en mouvement ?
Investir présente un risque de perte en capital. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures et ne sont pas constantes dans le temps.