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La tribune de... Matthieu Louvet (S’Investir) : "Il faut se couper des médias si l’on veut investir à long terme"

La tribune de... Matthieu Louvet (S’Investir) : "Il faut se couper des médias si l’on veut investir à long terme"

Dans cette Tribune, nous recevons Matthieu Louvet, fondateur du site et de la chaîne YouTube S'investir.

Après une formation d’ingénieur en intelligence artificielle, Matthieu est finalement devenu CIF (Conseiller en Investissements Financiers) et a créé S’investir : un blog mais surtout une chaîne YouTube sur l’investissement en Bourse, la gestion patrimoniale et les finances personnelles.

Avec des mots simples, de la pédagogie, et de la transparence, Matthieu propose à chacun d’entre nous d’apprendre à gérer son épargne et développer son patrimoine financier, notamment grâce à l’investissement passif et les ETF.

🎙️Yomoni : Bonjour Matthieu. Pour cette Tribune, tu souhaites nous parler spécifiquement de l’horizon de placement. C’est un thème important à tes yeux ?

Matthieu : Oui, c’est un point crucial lorsqu’on investit : c’est même l’un des facteurs les plus importants car il conditionne le rendement et le risque d’un placement.

Ainsi, si l’on regarde les statistiques sur le S&P 500, l’indice boursier de référence du marché américain avec 500 valeurs, pour la période 1926-2017 :

  • si on investit seulement une journée, on a 52% chances de gagner de l’argent et 48% de perdre ;
  • si on conserve l’investissement pendant 20 ans, on a eu 100% de chances de gagner et 0 % de perdre.

Le raisonnement tient aussi sur d’autres marchés, mais nous avons moins d’historique que sur le S&P 500.

Mieux : ce calcul ne concerne qu’un investissement sur un seul indice. Si l’on diversifie sur plusieurs indices, et plusieurs classes d’actifs (en mixant actions et obligations par exemple, ou en ajoutant de l’immobilier) alors on réduit encore le risque de moins-value.

Et on peut encore réduire le risque de perte si on investit progressivement pour lisser le point d’entrée. L’investissement progressif est d’ailleurs celui qui vient naturellement lorsqu’on épargne dans la vie quotidienne.

Finalement, la recette pour gagner de l’argent sur les marchés est assez simple : il ne faut pas surfer sur un mouvement à court terme, mais se laisser porter tout simplement par la tendance haussière. Et c’est pourquoi l’horizon de temps a un rôle fondamental.

Le rendement élevé des marchés actions vient avec un risque, mais il est tout à fait possible de le tempérer.

🎙️ Cette tendance haussière est-elle certaine ?

Non, mais historiquement, le marché s’est relevé de toutes les crises. Les statistiques que j’ai données démarrent en 1926 : elles intègrent le krach de 1929, la seconde guerre mondiale, la guerre froide, les chocs pétroliers, des périodes d’hyperinflation, la crise du COVID…

Et malgré tous ces événements, le marché s’est toujours relevé, en premier lieu parce que les entreprises créent de la valeur et génèrent des bénéfices. Il y a une raison fondamentale à la hausse des marchés, ce n’est pas un pari au casino…


🎙️ On sait que les Français sont plus réticents à la prise de risque que les épargnants d’autres pays, notamment parce que nous avons eu pendant longtemps de très bons produits sans risque.

Il est naturel d’être averse au risque mais le risque n’est pas binaire. Beaucoup de gens ont une peur irraisonnée des marchés, qui sont moins risqués qu’ils le pensent… et moins risqués que le cash sur le long terme. À long terme, le vrai risque c’est de ne pas investir, car on met en difficulté ses projets de vie et on subit l’inflation.

Contrairement à la volatilité, bien visible, l’inflation est un danger fourbe et indolore.

Si on a 10 000 € sur un compte sans placer les fonds, on a toujours 10 000 € cinq ans plus tard. On se croit en sécurité, mais on ne réalise pas forcément que l’on a perdu du pouvoir d’achat.

On s’en rend compte en regardant par exemple les historiques du prix de la baguette (ici par exemple). Le produit n’a pas évolué, sa recette est simple et les ingrédients sont les mêmes.

Mais le prix a bien augmenté, au fil des années.

En 1960, la baguette valait 5 centimes d’euro. Aujourd’hui elle vaut 1 euro, soit 20 fois plus. Un épargnant qui aurait accumulé de l’argent sous le matelas aurait énormément perdu en pouvoir d’achat puisqu’il pourrait se payer 20 fois moins de produits que ce qu’il envisageait.

Si on ne s’inquiète pas de l’inflation, on pénalise vraiment son pouvoir d’achat à long terme.

Et pour revenir sur la prise de risque, certaines personnes se disent totalement opposées à la prise de risque, mais en réalité ont quand même une tolérance, au moins sur l’indisponibilité des fonds.

Il ne faut pas oublier que l’investissement que l’on réalise en plaçant son épargne correspond toujours à un investissement dans la vie réelle : aucun entrepreneur ne peut offrir le moindre service ou générer de la valeur si on lui confie de l’argent à investir, en exigeant de pouvoir le récupérer sans préavis à tout instant et sans aucune perte…

On ne peut pas demander une rémunération si on veut pouvoir récupérer son argent à tout moment à l’improviste, et ne subir aucun risque.


🎙️ Il faut donc placer efficacement et viser un horizon long. Mais comment respecter son horizon de gestion ? Cela peut être inconfortable dans les périodes agitées…

C’est une excellente question, et c’est réellement un critère qui permet de réussir.

Il faut reconditionner son cerveau. De base, son fonctionnement n’est pas adapté à l’investissement, à cause des nombreux biais cognitifs. Il faut déjà en être conscient : savoir que notre comportement naturel n’est pas le bon. Instinctivement, on ne sait pas faire. Il faut l’accepter : nous sommes faits ainsi.

Une fois que l’on a compris cela, il faut le mettre en pratique : se détacher, ne pas tenter de “lire” le marché, et tenir bon. Et paradoxalement, le bon comportement est plus difficile à adopter pour les pros et ceux qui ont une confiance dans leurs capacités !


🎙️ Quels sont ces biais cognitifs qui nous empêchent de bien investir ?

Ils sont très nombreux mais je ne vais en citer qu’un : le biais rétrospectif. C’est la tendance que l’on a à modifier a posteriori ce que l’on pensait à un instant donné, afin de le faire coller à une réalité plus confortable.

Dit autrement, cela revient à se mentir pour se faire croire qu’on avait raison. On oublie volontairement nos erreurs, et on met à jour ce que l’on pensait selon les éléments survenus après.

Daniel Kahneman en parle très bien dans son livre Système 1 / Système 2.

En Bourse, on s’imagine que lorsqu’on a des gains importants, c’est grâce à nos compétences. Il est difficile d’admettre qu’ils peuvent être dus à la chance…

Ce biais rétrospectif nous fait surestimer notre propre pouvoir prédictif. En pensant avoir pu prédire des événements passés, on en vient à se croire capable de prédire le futur.

Alors on regarde les actualités, les analyses, les conseils, les comptes des entreprises, la macroéconomie… Or, ce qu’on constate, c'est que les particuliers font des pertes à court terme. Alors même qu’un investissement totalement aléatoire a une chance sur 2 de réussir ! Les particuliers subissent les frais de courtage, les impôts et autres coûts de frottement, et leur propre comportement.

Bref, il faut souvent agir comme un robot… Ne pas se mentir, ne pas se comparer, rester humble et rationnel… En adoptant le bon comportement, on obtient un avantage énorme sur les marchés. Mais c’est très difficile.

D’où l’essor des robo-advisors qui sont excellents car répondent exactement à ces problématiques !


🎙️ Il faut donc prendre du recul et se couper des marchés. Mais les médias n’incitent pas du tout à cela !

Non, car leur business model est en contradiction totale avec le bon comportement à adopter.

Les médias veulent qu’on les regarde : ils doivent toujours avoir quelque chose à raconter sinon ils perdent de l’audience et des recettes publicitaires. À les écouter, il faudrait tout le temps faire quelque chose sur son portefeuille : avant les vacances, pour la rentrée, pour préparer Noël, en début d’année, au printemps…

Pour moi, tous les articles qui débutent par “Dans le contexte actuel”, “Compte tenu de la conjoncture”, ou le grand classique “Que faire dans les marchés actuels ?” signalent que le reste de la phrase n’aura pas de valeur.

Plutôt que de lire les analyses du jour, mieux vaut lire celles publiées il y a quelques années : elles nous enseignent l’humilité et nous apprennent l’inutilité de regarder les infos !

De même pour les courtiers en bourse : ils vivent lorsque l’on passe des transactions. Donc ils activent nos biais comportementaux, ils nous envoient des idées de trading, nous incitent à lire telle analyse maison, à acheter telle valeur prometteuse…Et il y a tous les jours des nouvelles idées.

Bien sûr, dans le lot, il y a forcément des conseils gagnants, mais c’est normal statistiquement. Et avec le biais rétrospectif (et le service marketing du courtier qui ne manquera pas de les mettre en avant), on en arrive à croire qu’il existe une martingale ou une source de bons conseils.

Or, on est sur des sables mouvants si on les écoute. On enrichit le courtier avec des allers et retours mais on ne gagne rien.

Les professionnels ne sont pas épargnés par ces biais : les études SPIVA démontrent année après année que près de 90% d’entre eux font moins bien que leur indice de référence sur 10 ans (source). Or, n’importe qui peut reproduire les indices avec un simple ETF indiciel, et donc faire mieux que 90 % des professionnels.


L’investissement est une des rares activités où on gagne plus en faisant moins. Pourquoi ne pas en profiter ?

J'explique pourquoi cela est possible et comment investir en conséquence dans cette vidéo ⬇️


🎙️ Ce n'est pas trop dur d’être Youtubeur et conseiller en investissement financiers (CIF) mais d’inciter à la passivité ? Comment abordes-tu les sujets d’horizons temporels avec les visiteurs de ta chaîne et tes clients patrimoniaux ?

Certes, c’est beaucoup plus facile de faire du trafic en étant catastrophiste, sensationnaliste, ou en promettant de partager l’investissement secret qui vous rendra riche.

Mais je garde une ligne de conduite stricte… et quand je fais du sensationnalisme, c'est pour attirer des visiteurs mais ensuite les ramener dans le droit chemin, leur faire prendre conscience que la richesse se situe dans le long terme et pas dans le suivi des news.

Je préfère toujours privilégier le contenu de qualité.

Déconstruire des idées est difficile mais tellement utile pour la personne qui y parvient !

Je vois trop souvent des clients venir vers moi et dire qu’ils sont en moins-value sur leur assurance-vie ouverte il y a 5 ans alors que le marché a été très haussier. Ils ont perdu de l’argent à cause des frais, de mauvais produits, et parfois d’aller et retours malheureux (typiquement : vente panique en plein COVID donc au point bas, réinvestissement lorsque les nouvelles étaient rassurantes, donc bien plus haut).

On me demande mon avis sur la BCE, le dollar, le commerce international, la hausse des taux, l’inflation…  Mais, dans l’histoire, il y a toujours eu matière à s’inquiéter, ce sont juste les sujets qui changent avec le temps.

Je remarque malheureusement que beaucoup d’épargnants se font balader par leur banque ou leur conseiller… alors que la formule qui fonctionne est très simple : rester investi longtemps sur des trackers indiciels, en proportion adaptée à son horizon et sa tolérance au risque.

Mais la formule est trop simple : elle ne nourrit pas d’analyste, pas de journaliste, pas de gérant, pas de courtier…

Il y a trop d’intermédiaires dans ce milieu ! Un très bon livre sur le sujet est "Mais où sont les yachts des clients ?" de Fred Schwed, qui explique comment les intermédiaires financiers se font énormément d'argent et peuvent s'acheter des yachts, contrairement à leurs clients... (paru en 1940 !)

En restant simple, on apprend à se passer d’intermédiaires et à minimiser les frais.


🎙️ Un dernier conseil pour aider les visiteurs à respecter leur horizon de placement ?

Souvent, on s’imagine que pour être un bon gérant de son épargne il faut savoir lire les bilans des entreprises, ou se tenir au courant de l’actualité.


Ce n’est pas nécessaire ! En finances personnelles, énormément de valeur peut être créée simplement en adoptant la bonne organisation.

Il faut découper son épargne en 3 parties, selon l’horizon probable de décaissement :

  • le court terme : créer son matelas d’épargne de précaution, faire face aux charges courantes, anticiper les vacances, les cadeaux, Noël…
  • le moyen terme : changer de voiture, constituer un apport pour acheter un appartement…
  • le long terme : préparer sa retraite, faire des travaux majeurs, etc.

À chaque poche d’épargne ses placements. Et, comme je l’ai dit plus haut, pour les objectifs long terme, le pire investissement est le cash (ou tout investissement destiné au court terme : les livrets…).

Accumuler trop de cash, ou placer son argent de façon trop prudente, c’est risquer de mettre en danger sa retraite. C’est un risque majeur aux conséquences très graves. Repensez au prix de la baguette…

À l’opposé, les actions, l’immobilier… sont un véritable refuge dans la poche long terme, car ils sont à même de protéger de l’inflation et de faire croître le capital.

L’idée qu’une classe d’actifs est intrinsèquement risquée est fausse : tout dépend de son usage et de l’adéquation au besoin. C’est aussi pour cela qu’il faut être très au clair avec ses horizons de placement.

Si vous souhaitez aller plus loin sur les règles à respecter, je partage dans cette vidéo 10 règles simples pour mieux investir en Bourse ⬇️

Merci Matthieu !

Pour approfondir votre lecture 📚

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CONTRIBUTEUR EXTERNE. Nicolas a passé 15 ans dans la gestion d'actifs et la finance d'entreprise. Il aime partager son expertise de façon pédagogique.

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