En matière d’épargne, désormais on n’a moins que rien sans rien
Jusqu’à présent, la notion de taux d’intérêt négatif pouvait rester relativement théorique pour l’épargnant français. Elle concernait surtout les transactions entre les banques et la Banque centrale européenne, ou le Trésor français qui a émis pour la première fois des obligations à long terme à taux négatif en 2019.
Les choses sont en train de changer et vont devenir très concrètes pour certains. Dès le mois d’octobre, une banque française va commencer à « taxer » les dépôts de ses clients au-delà d’un certain montant (relativement élevé pour le moment). D’autres banques devraient rapidement lui emboîter le pas. Les banques françaises, comme certaines banques suisses ou allemandes depuis quelques temps déjà, vont donc commencer à répercuter sur leurs clients les taux négatifs qu’elles « perçoivent » sur leurs dépôts auprès de la BCE (de l’ordre de -0.5 %). Très concrètement, pour 100 euros déposés sur son compte bancaire, l’épargnant verra son solde diminué à 99,5 euros après un an.
Au-delà de son aspect spectaculaire et assez troublant, cette annonce est symptomatique de tendances très lourdes pour les épargnants français. Si les banques commencent à franchir le pas des taux négatifs sur les dépôts, c’est d’abord parce qu’il est clair désormais que les taux directeurs de la BCE vont rester bas pour une durée assez longue. On parle ici des taux d’intérêt à court terme mais c’est l’ensemble des échéances qui sont concernées, puisque les taux d’emprunt de l’Etat français sont négatifs jusqu’à des échéances longues et qu’ils servent d’ancrage à l’ensemble des taux d’intérêt auxquels les différents agents économiques prêtent ou empruntent.
Les véritables taux sans risques, déterminés par la BCE pour le court terme et les marchés pour les échéances plus longues, vont donc rester proches de 0 à un horizon assez lointain. Conséquence inéluctable de cette situation, la baisse de l’ensemble des rendements des différents placements sans risque disponibles pour l’épargnant français va se poursuivre. Pour l’épargne réglementée (livret A…) et les comptes d’épargne bancaires, une bonne partie du chemin a déjà été fait : les taux de rémunération de ces supports sont à peine positifs. Pour le contrat en euros de l’assurance-vie, grande spécificité française, le mouvement est entamé depuis plusieurs années mais le rendement offert, même s’il est faible en absolu, est appelé à baisser encore pour converger progressivement vers le véritable taux sans risque de marché.
Le choix de la sécurité dans les placements financiers va donc devenir très coûteux pour l’épargnant (sans prise de risque, on n’aura vraiment moins que rien!), et de façon extrêmement visible. Rappelons aussi que ces niveaux de rendement sont nominaux : en intégrant l’érosion monétaire due à l’inflation, on aboutit à des résultats franchement négatifs. C’est également le cas du contrat en euros de l’assurance-vie, qui ne compense plus désormais la hausse des prix.
Quelles sont les options pour l’épargnant français dans ce contexte inédit? Elles sont en réalité très réduites. Si l’attachement à la sécurité reste le déterminant le plus fort, il n’aura d’autre choix que d’accepter de voir son capital diminuer en termes réels avec le temps. S’il cherche à valoriser son patrimoine sur des horizons de temps relativement longs, alors la seule solution consiste à monter sur l’échelle de risque des placements, en augmentant son exposition aux actions en particulier.
Pour l’accompagner dans ces changements et l’aider à faire les bons choix, beaucoup de choses sont à faire de la part des acteurs du marché de l’épargne. La première c’est évidemment de contribuer à augmenter le niveau de connaissance des Français dans le domaine financier. La seconde c’est de s’assurer qu’en restant raisonnable sur les frais et compétitifs sur les performances (ces deux points étant étroitement liés), les fournisseurs de solutions d’épargne lui permettent de récolter tous les fruits du surcroît de risque qu’il aura accepté de prendre.