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En quoi la crise que nous connaissons actuellement est-elle unique ?

En quoi la crise que nous connaissons actuellement est-elle unique ?

Jamais nous n’avions connu une crise comme celle du Covid-19. Ni 2008, ni 1929, la crise actuelle est unique !

La crise actuelle ne vient pas de la sphère financière

La crise que nous vivons actuellement est sans équivalent, notamment parce que, contrairement aux dernières crises, elle ne vient ni de l’économie réelle ni de la sphère financière. Les trois dernières grandes crises mondiales que nous avons connues venaient en effet de chocs endogènes, ou plus précisément de l'éclatement de bulles spéculatives formées par les agents économiques.

Le krach boursier d’octobre 1929 a déclenché la première grande crise depuis le développement de l’économie capitaliste moderne au XIXème siècle. Elle a été causée par une bulle boursière et immobilière, alimentée par du crédit abondant, principalement aux États-Unis. En 2000, la bulle Internet éclate. La “nouvelle économie” que Alan Greenspan (alors Directeur de la Banque Centrale américaine) qualifiait dès 1996 “d’exubérance irrationnelle”, va alors s'effondrer. Enfin, la crise de 2008, dite des subprimes, est assez similaire à celle de 1929. Elle est due à l’éclatement d’une bulle spéculative immobilière, qui a conduit à une crise bancaire, puis économique.

La crise du Coronavirus, quant à elle, vient d’un choc sanitaire, totalement exogène. Et il était difficile d’imaginer qu’une crise de cette nature puisse avoir un impact sans précédent sur l’économie réelle.

Un impact sans précédent sur l’économie

Même en temps de guerre, nous n’avons jamais connu une crise où nous avons été obligés de fermer l’économie, dans quasiment tous les pays en même temps, en quelques semaines. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dénombre à ce jour plus de 4 milliards de personnes confinées, soit plus de la moitié de la population mondiale. L’impact économique de cette crise sanitaire est donc sans précédent.

En France, par exemple, l’activité a chuté de près de 40 %, avec 7 millions de travailleurs en chômage partiel et plus d’un million de parents en arrêt de travail indemnisé pour garder leurs enfants. Et chaque semaine de confinement supplémentaire coûte très cher à l’économie. L'Insee évalue que la croissance trimestrielle en France sera en baisse de 12 % par mois de confinement, ce qui s'avère bien supérieur à la perte d'activité de 1,5 % enregistrée au quatrième trimestre 2008 et au premier trimestre 2009.

Aucun pays n’échappe à la chute d’activité

Aux États-Unis, ce sont près de 17 millions de personnes qui ont perdu leur emploi en trois semaines, soit près de 10 % de la population active, là encore c’est du jamais vu. La FED de Saint Louis évoque par exemple un taux de chômage de 32 % dans les prochaines semaines, soit un total de 47 millions d'emplois détruits. À titre de comparaison, durant la dernière récession de 2008, les disparitions nettes d'emplois avaient atteint 8,7 millions et le taux de chômage avait atteint un pic de 10 %.

Il est encore trop tôt pour évaluer précisément l’ampleur de la récession mondiale, puisque nous ne connaissons pas encore le temps que prendra le déconfinement progressif global. Mais le Fonds Monétaire International (FMI) prévoit déjà une contraction du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial de 3 % en 2020. Des États-Unis (- 5,9 %) à la zone euro (- 7,5 %) en passant par le Royaume-Uni (- 6,5 %), aucun pays n'échappe à une chute spectaculaire de son activité. Ces chiffres traduiraient la pire récession mondiale depuis la grande dépression de 1929, bien pire que celle de 2008 ou 2001.

Les banques centrales brisent les tabous

Mais ce qui caractérise également cette crise, ce sont la rapidité et l’ampleur des mesures prises par les banques centrales pour atténuer les effets économiques de ce drame sanitaire. Les États peuvent en effet compter sur le soutien quasiment inconditionnel des banques centrales. Tirant les leçons des crises précédentes, et en particulier celle de 2008, ces dernières, Réserve fédérale américaine (FED) et Banque centrale européenne (BCE) en tête, ont été plus réactives que jamais. Cette fois, quinze jours auront suffi - du 3 au 18 mars - pour ramener l'ensemble des taux d'intérêt mondiaux à zéro et relancer les outils « non-conventionnels » déployés à la faveur des dernières crises. Quitte à briser un certain nombre de tabous.

La Banque centrale européenne a ainsi aboli les limites qu'elle s'était toujours fixées dans son nouveau programme d'achats de titres de 750 milliards d'euros. Par ailleurs, elle s’est affranchie de deux règles : celle qui limitait sa détention de l'encours d'une obligation à 33 % et celle qui l'obligeait à proportionner ses achats à la participation des États à son capital. Elle s'est ainsi donné la possibilité d'intervenir quasiment sans limite pour soutenir un État en difficulté. Elle peut, par exemple, acheter des obligations italiennes sans devoir acheter les titres allemands correspondants.

Autre tabou brisé par la BCE : l'institution monétaire accepte temporairement de prendre davantage de risque de crédit, pour soutenir les banques. Les garanties apportées par les banques qui viendront chercher de la liquidité à son guichet pourront être de moins bonne qualité (telles que les obligations grecques).

Du côté de la FED, la révolution concerne plutôt le soutien aux dettes d'entreprises. La banque centrale américaine n'a pas hésité à contourner la loi pour apporter son aide aux entreprises. Comme elle n'a a priori pas le droit de prendre de risque de crédit, les emprunts obligataires d'entreprises seront achetés par un véhicule ad hoc (special purpose vehicle) conjoint entre la Fed et le Trésor américain, et garantis par ce dernier. C’est en tout 2 300 milliards de dollars de nouveaux prêts qui seront ainsi accordés aux entreprises, mais aussi aux collectivités locales et aux ménages.

Les Etats au chevet des entreprises et des ménages

Les réponses budgétaires apportées par les États sont tout aussi uniques et  impressionnantes. Les États européens ont en effet sorti la grosse artillerie budgétaire. Berlin a ainsi prévu 123 milliards d'euros de dépenses supplémentaires (3,6 % de son PIB), et se vante même d'avoir un « bazooka » financier de 1.100 milliards en comptant notamment les quelque 822 milliards de garanties d'État accordées aux crédits des entreprises.

La France a annoncé un plan minimum de 45 milliards (1,9 % de son PIB) et des garanties allant jusqu'à 300 milliards, tandis que l'Italie vient juste de doubler son enveloppe initiale de 25 à 50 milliards (2,8 % du PIB). Les États-Unis ont également adopté le plus grand plan de soutien à leur économie de leur histoire. Après plusieurs jours de négociations au Sénat puis à la chambre des Représentants, c’est finalement un plan de sauvetage massif de l'économie américaine de 2 000 milliards de dollars qui a été adopté, soit près de trois fois plus important que celui qui avait été lancé en 2008. Ce plan vise à soutenir les industries et les petites entreprises par l'injection de liquidités, mais également les citoyens qui pourront toucher des indemnités allant jusqu'à 3 000 dollars par foyer.

En résumé, quelques facteurs encourageants

Pour conclure, les réponses apportées à cette crise inédite sont encourageantes par leur ampleur, leur rapidité et leur coordination mondiale. D'énormes progrès ont été faits depuis 1929, il n’y avait alors aucune coopération internationale ni de politique monétaire comparable à celles d’aujourd’hui, pas de structure de refinancement international ni d’organisme de restructuration de dette. Le système bancaire est, par ailleurs, dans une situation beaucoup plus solide en matière de solvabilité et de liquidité, même par rapport à 2008. La réactivité des banques centrales et des États pourrait donc permettre à l’économie de redémarrer progressivement lorsque le virus sera maîtrisé.

Vers un nouveau système économique ?

Autre signe encourageant, la levée progressive des règles de confinement en Chine (premier pays à avoir été touché par l’épidémie et à avoir mis en place des mesures sanitaires très strictes) semble bien se traduire par une reprise de l’activité, perceptible au travers d’un certain nombre de données économiques publiées ces dernières semaines. Les exportations chinoises, par exemple, étaient en repli en mars de 6,6 %, un taux bien moins prononcé que ceux de janvier-février cumulés (-17,2 %) et  bien moins marqué que ce qui était attendu par les économistes. Certains économistes voient même dans cette crise des opportunités de faire évoluer nos modèles de croissance et nos modes de consommation. Thomas Piketty rappelle qu’après le « traumatisme » des deux guerres mondiales et de la crise des années 1930, un nouveau système économique s’est mis en place « avec la sécurité sociale, l’impôt progressif, un nouveau droit du travail, des droits syndicaux, et même, dans certains pays, un véritable pouvoir au sein des conseils d’administration des entreprises ».

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