Et si on aimait l’Europe ?
L’élection présidentielle a dissipé la crainte d’une sortie de la France de la zone euro (Frexit). Rassurés, les investisseurs avaient repris confiance dès le lendemain du premier tour dans les valeurs du CAC 40, notamment dans celles des banques : les actions Société générale et Crédit Agricole avaient aussitôt grimpé de 10 % le 24 avril, celle de BNP Paribas de 7 %. « L’effet Macron », comme l’ont alors surnommé les observateurs, a traduit un soulagement. Désormais Président, Emmanuel Macron ne devra pas seulement confirmer ce soulagement, il devra le conforter par une volonté clairement exprimée de contribuer à la réforme de la zone euro pour pallier ses défauts de construction.
À sa mise en place en 1999, on attendait de la zone euro qu’elle soit force de convergence économique et financière entre ses membres et gage de prospérité. Or, comme l’a résumé l’économiste américain Joseph Stiglitz, dans Le Monde en septembre 2016 : « L’euro n’a pas apporté la prospérité promise, mais la division et la divergence. » Pour autant, la solution ne réside pas dans son abandon, mais dans l’examen de ce qui n’a pas fonctionné, pour ensuite pouvoir y remédier.
Aux origines de l’Euro
L’euro était l’étape ultime de l’Union économique et monétaire, telle qu’envisagée dans le plan conçu par Jacques Delors en 1989. Le traité de Maastricht en 1992 avait entériné ce plan en introduisant plusieurs critères de convergence (monétaires et budgétaires), censés favoriser la convergence et permettre l’examen de passage des pays candidats à l’euro. Avec le recul, ces critères n’ont guère facilité les choses. Ils ont fortement perturbé le fonctionnement du système monétaire européen au début des années 1990, certes sans pour autant différer le passage à la monnaie unique, et leur maintien a ensuite drastiquement réduit les marges de manœuvre budgétaire suite à la crise financière mondiale de 2007 – 2008, qui a mis la résilience européenne à dure épreuve.
Qu’est-ce qui cloche ?
Le problème ne réside pas tant dans le fait d’avoir énoncé des critères, avec toute la part d’arbitraire que leur calibrage induisait forcément, mais plutôt dans l’illusion qu’en les validant, les pays candidats formeraient une zone convergente pour toujours. On reproche très souvent au projet européen — au départ profondément politique — de s’être réduit à une réalisation purement économique, circonscrite à la monnaie unique et à la banque centrale européenne chargée d’en stabiliser le pouvoir d’achat au sein de la zone. Cela n’est pas faux.
Des États membres privés de taux de change
Pour autant, et pour une fois, ce n’est pas aux économistes qu’il faut en faire le reproche. Car depuis les travaux de Robert Mundell dans les années 1960, ils ont en la matière les idées assez claires : en substance, quand plusieurs pays décident d’adopter la même monnaie, il faut impérativement que ceux-ci disposent d’un ou plusieurs instruments d’ajustements alternatifs à celui qu’ils abandonnent, à savoir le taux de change. Il faut, par exemple, qu’en cas de chômage dans une région, la main d’œuvre soit suffisamment mobile pour rejoindre une autre région où les perspectives d’emploi sont meilleures. Ou bien encore que des transferts budgétaires soient possibles pour faciliter le redressement d’une région en difficulté. On peut en imaginer bien d’autres, l’important est d’avoir précisément de quoi faire face à des chocs qui peuvent affecter certaines régions, certains pays, mais pas d’autres (« chocs asymétriques »). Ce n’est qu’à cette condition qu’une zone monétaire est « optimale » dans le jargon des économistes.
Une zone monétaire imparfaite
La zone euro est-elle “optimale” ? À l’évidence non ! La main d’œuvre est-elle mobile en son sein ? Peu, en raison notamment des différences de langue, de culture, et il faudra plus que le programme Erasmus pour changer la donne. Un service civique européen, une assurance chômage européenne, seraient de nature à intensifier la circulation des personnes au sein de la zone. Est-ce qu’il existe un budget européen pour réaliser des transferts entre les États membres, soutenir des programmes d’investissements publics ? Un minuscule, de l’ordre de 1 % du PIB de l’Union européenne et très largement absorbé par les besoins de la politique agricole commune. Bref, la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale, précisément parce qu’elle ne dispose d’aucun instrument lui permettant de faire face à des chocs qui n’affectent pas tous ses membres en même temps et de la même façon.
Le même remède pour tous les malades
Pour s’ajuster, la zone euro n’a que la politique monétaire de la BCE. Or celle-ci est unique, ce qui en gros signifie qu’elle fixe les mêmes conditions de taux d’intérêt pour tous les pays de la zone, même lorsque les besoins de ces derniers diffèrent. La politique monétaire est conçue pour l’ensemble de la zone, c’est-à-dire pour la moyenne. Cela fonctionne bien lorsque cette moyenne est représentative de la situation individuelle de chaque pays. Au contraire, lorsque des divergences font que la moyenne n’est plus représentative de rien, non seulement la politique monétaire ne corrige pas les divergences mais elle peut même, au pire, contribuer à les accroître.
Vers une Europe à plusieurs vitesses ?
Replaçons-nous au début des années 2000, le niveau du taux d’intérêt fixé par la BCE convenait assez bien pour l’Allemagne, les Pays-Bas, voire aussi la France (en gros les pays dits du cœur de la zone euro) ; mais pas du tout pour ceux dit de la périphérie (Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Portugal). Beaucoup trop bas pour l’Espagne ou encore l’Irlande, le taux d’intérêt a alors favorisé le boom du crédit et la formation d’une bulle immobilière. La chute qui a suivi la crise financière n’en a été que plus sévère pour ces pays.
Il aurait fallu qu’à ce moment là, constatant l’emballement financier qui se produisait dans ces pays, un dispositif prudentiel permette de les corriger. En corrigeant le déséquilibre financier, c’est aussi le déséquilibre économique qui en est résulté qui aurait été réduit. Voilà de quoi faire d’une pierre deux coups, prévenir les déséquilibres financiers auxquels les économies de la zone euro ultra bancarisées sont fortement exposées et dans le même temps réduire leurs divergences économiques.
Des instruments plus efficaces
Ces instruments commencent à exister (coussins contracycliques de fonds propres, contraintes d’apports et de revenus pour les emprunteurs modulables selon le type de crédit et en fonction du cycle), certes en ordre dispersés et pas aux mains des autorités qui devraient en avoir la charge. En les renforçant et en revoyant les contours institutionnels du dispositif, de telle sorte que la BCE et la Conseil européen du risque systémique se voient clairement confiés les rênes de la politique macro-prudentielle de la zone euro, on favoriserait la convergence au sein de la zone euro.
Et si on se remettait à croire un peu en l’Europe, à la possibilité de la doter d’instruments nouveaux, de la réinventer… Allez Europa nom de Zeus !