Il y a quelques semaines, j’ai parlé d’excès d’optimisme. Voici maintenant l’excès de pessimisme.
Il faut avoir peur de la peur elle-même
Pour étudier si les gens prennent des décisions rationnelles quand il y a un risque de pertes, des chercheurs ont proposé à des volontaires de participer à un jeu de hasard. Ils recevaient 20 $ et on lançait une pièce vingt fois. À chaque lancer, si le participant décidait de parier, il gagnait 1,50 $ ou perdait 1 $. Donc en moyenne il y gagnait, ce qui signifie qu’il avait tout intérêt à jouer. Il faut aussi noter que des lancers successifs sont complètement indépendants, donc (logiquement) on ne devrait pas arrêter de parier juste parce qu’on a perdu quelques fois d’affilée. En réalité après avoir perdu les participants étaient environ un tiers à accepter de parier à nouveau, contre deux tiers de ceux qui venaient juste de gagner.
D’autre part quand le jeu est fractionné en quatre fois cinq parties, on s’attend à ce que les participants jouent autant dans la dernière que dans la première (voire plus : ils acquièrent de l’expérience, constatent que la pièce n’est pas truquée, etc.). Or c’est le contraire qui arrive : les trois quarts en moyenne jouent lors de la première manche mais moins de la moitié lors de la quatrième.
Il y avait aussi des participants dont le cerveau était endommagé, de telle sorte qu’ils ne connaissaient pas la peur. Ils pariaient environ 85 % du temps — que leur précédente tentative soit victorieuse ou pas. Et ils pariaient autant lors de toutes les manches. Bref, ils agissaient nettement plus rationnellement que les participants dont le cerveau était intact. (Apparemment la moitié des adaptations cinématographiques de Frankenstein — avec leur cerveau endommagé utilisé par erreur — n’ont pas de base scientifique.)
Réaction rationnelle et réaction épidermique
Quand on sort de table, la notion de faim n’est qu’un vague souvenir. Et quand on meurt de faim, le concept même de trop manger ne nous parle guère. Plus généralement, notre perception et notre comportement dépendent des circonstances. On a du mal à se projeter et à imaginer comment on réagirait dans des circonstances radicalement différentes. Le meilleur moment pour prendre une décision n’est donc pas forcément le moment de la mettre en œuvre.
Des chercheurs ont ainsi testé l’importance de règles appliquées de manière systématique. Ils ont demandé à des volontaires de relire un texte pour y trouver des erreurs. Il y avait trois groupes : certains avaient des dates imposées régulièrement pour rendre leur travail au fur et à mesure, d’autres fixaient leurs propres dates, et les derniers pouvaient rendre tout le travail d’un coup à la fin. Comme le montre très clairement la figure ci-dessous, le premier groupe avait les meilleurs résultats (trouvaient plus d’erreurs et étaient plus ponctuels), et le troisième était le pire.
Figure : Erreurs détectées (en dizaines et en bleu) et retards (en jours et en rouge).
Comme il est difficile de savoir comment on réagirait dans une situation extrême (par exemple krach), il est préférable de mettre en place des règles systématiques à tête reposée. Il vaut donc mieux faire ça quand on est sûr d’avoir la tête reposée. La conclusion (qui n’est pas tout à fait nouvelle) est donc de prendre des décisions stratégiques à l’avance et de les mettre par écrit pour être certain de s’y tenir, et de continuer à épargner et placer son argent même quand tout va mal.